La littérature fait reculer la maladie d’alzheimer – Génie Divin II –
Texte publié à l’origine dans le collectif :
« Les glissements de terrain prennent des générations à se déclencher. J’essaie d’accélérer le mouvement. »
Marcel Proust.
« Je suis un Proust au pas de course. »
Jack Kerouac.
L ‘écriture est un exploit avant tout. Ensuite, c’est un livre (Avant-propos)
S’il existe dans cette vie une chose parmi les plus difficiles à faire, c’est bien de se laisser envahir par la violence du monde, et d’y survivre. Mais nous n’avons pas le choix. Il nous faut affronter la folie du monde pour découvrir nos véritables raisons de croire encore en lui. C’est le seul chemin qu’il nous reste. Le seul par lequel nous pouvons espérer transcender nos douleurs et par-là même modifier la conscience que nous avons du sens à donner à nos existences. Mais pour cela, pour parvenir à réaliser cette métamorphose du plomb en or, il nous faut d’abord admettre une chose : nous avons un cœur immense. Nous avons le cœur gros comme une maison. Pas gros comme une maison : gros comme une cathédrale baroque. Gros comme la Sagrada Família de Gaudi à Barcelone. Et nous avons en supplément dans l’âme un océan de larmes qui, s’il jaillissait, ferait passer la mer Méditerranée pour un jacuzzi. Nous souffrons d’un infini besoin d’amour jamais totalement rassasié, jamais complètement contenté, jamais véritablement entendu. Éternellement nous attendons demain comme prisonnier d’un mauvais sort dans la salle d’attente bondée d’un dentiste. Mais demain, comme le médecin porteur du remède, ne vient pas. Ne vient jamais. Et notre rage dedans continue de nous lancer jusqu’aux tréfonds de nos nerfs et de notre cortex, en boucle répétitive.
Car ce monde ne veut pas répondre à nos demandes d’amour. Au contraire il nous traque, nous blesse mortellement, puis nous achève, pour se repaître de nos rêves. Éternellement inassouvi, notre manque d’amour ne fait que grossir, jusqu’à faire de nous des êtres tristement solitaires. Notre désespoir permet alors à beaucoup de nous traiter d’éternels adolescents un rien attardés, et de les conforter dans leurs certitudes. Les « Adultes » attendent simplement que nos utopies nous passent. Se gargarisant continuellement de leur expérience de la « maturité », ils sont comme ces religieux extrémistes regardant de haut ceux se refusant à croire en leur Dieu image d’Épinal. Ils nous parlent comme ils le feraient aux non-éveillés : avec gentillesse, pitié et compassion. En vérité ils s’adressent à nous avec mépris, conceptualisé en tolérance envers un élève moins doué qu’eux-mêmes et leurs pairs pour l’apprentissage de la réalité. Boys and girls, vous l’aurez compris : je ne fais pas partie de ceux-là. Car si les mots sont le plus souvent des armes de manipulation massive, je les utilise pour ma part comme un électrochoc réveillant la conscience. Oui notre époque est remplie d’une fausse tolérance dissimulant un élitisme nombriliste fétide et une peur morbide de l’amour. De plus, elle veut couper les ailes de ses artistes. En les empêchant de croire en eux, et en les incitant à se soumettre à la culpabilité et au doute plutôt qu’à leur talent, elle désire les empêcher de combattre pour la liberté des populations. Ce pourquoi je laisse les écrivains participant à ce jeu de dupes ; soit les professionnels de l’art pour l’art ; dans leur bac à sable. Je ne sais pas comment ils font pour se regarder en face. D’ailleurs, comment peuvent-ils prétendre posséder une quelconque largesse de vision, alors même qu’ils se trouvent bien au chaud dans mon cul?
Ces quarts de talent commencent et arrêtent d’écrire à heures fixes, il paraît. Vous parlez d’une méthode. Ils étudient les fluctuations du marché, dit-on. Ciblent un certain type, toujours le même, qui doit commencer à en avoir sérieusement marre d’acheter tous les bouquins en tête de gondole. Également, ils prétendent haut et fort qu’écrire, cela s’apprend. Certes, certes. Je confirme. Mais alors : pourrait-on m’expliquer pourquoi ne s’attèlent-ils pas eux-mêmes, en premier lieu, aux études ? Il paraît que cela s’appelle le professionnalisme. Les ficelles du métier. Être ou ne pas être. Du métier. « Être du métier », pour ces écrivaillons-là, signifie à peu de choses prés avoir totalement cessé de bander. Avoir oublié l’origine du sens, du son, et du rythme de la vie. Avoir tout oublié du combat pour la vérité et la liberté, mais avoir appris un tas de choses à l’inutilité parfaite. Hormis devenir PROFESSIONNEL tel que la profession d’écrivain est actuellement conceptualisé par des industriels tentant de dicter à l’Art littéraire les lois de leur marché de dupes. Je vais vous dire : les professionnels sont de sinistres adultes qui mouillent leur chemise sous la douche pour faire croire qu’ils ont contenté un harem de diablesses déchaînées durant la nuit. Il faut s’en méfier comme de la peste porcine. Pour être clair ils sont les réels dilettantes. D’où, bien logiquement, leur suffisance. Vous ne verrez jamais un professionnel prendre le moindre risque, poser la moindre question pertinente, énoncer la moindre vérité, et surtout pas s’atteler à la création d’un style novateur personnel permettant de soulever l’époque de sa torpeur apathique. Bien, je ne vais pas en faire dix pages. Sur eux, tirez un trait. Nous n’avons rien à en attendre. Ils ne sont plus avec nous. Ils ne sont plus là. Ils écrivent pour passer le temps. Et nous ne l’avons plus : nous voulons changer les choses. De quelle manière ? Pour aller vers quel au-delà de la connerie ? J’ai ma petite idée sur la question. Je vais vous dire un secret : nous savons tous, potentiellement, voler. Nous sommes tous, potentiellement, des phénix et des anges.
Tout a été dit des solutions à appliquer. Tout a été consommé, mâché, digéré, rabâché. Il nous faut désormais cesser avec la théorie, et passer à l’acte : la renaissance d’un monde. Ou en tout cas sa libération. Nous avons tous nécessité d’un puissant cyclone mental d’air frais. Pour que le soleil puisse poindre derrière l’écran de fumée, une fois retombée la poussière des vieux édifices mentaux détruits. Et par-dessus les gravas consécutifs à l’éclatement des barrières que nous ont légués nos ancêtres humains ayant, par leur mutisme, contribué jusqu’à aujourd’hui à la pérennité de l’horreur. Je vais vous exposer ma vision dans les pages qui suivent. Mais avant toute chose, il vous faut en savoir une précisément : écrire ; à mon sens ; c’est se situer au plus prés de ce que nous ne vivons pas encore collectivement comme il se doit. Le présent. C’est-à-dire : la vie ; mes amis ; la vie. Tout simplement.
La genèse du trauma culturel, ou l’apprentissage du langage de la folie
Dés la naissance, nous sommes mal barrés. En soi, sortir de la matrice est déjà un traumatisme d’une profondeur insondable. Non que l’incarnation de l’être-esprit dans le corps vivant relevât de l’erreur ; non. Seulement le degré de barbarie de l’espèce à laquelle nous appartenons étant ce qu’il est, nous n’avons aucune chance de n’être pas traumatisé par l’infinie violence que nous inflige, dés le départ, le monde dans lequel nous débarquons. Certes, depuis ses origines l’Homme est parvenu entre deux massacres à faire du feu et à inventer la roue. Puis la voiture, le train, l’avion et l’iPad. À force de millions d’années d’évolution patiente et acharnée ; il a réussi à créer le monde moderne tel que nous le connaissons. C’est-à-dire à faire poindre la lumière sous laquelle il est probable que s’éteigne notre civilisation. Certes, l’on nous enseigne à l’école que le genre humain donne de temps à autre naissance à des Gandhi, des Martin Luther King, et des Jean Moulin. Par siècle, elle nous gratifie également, avec une parcimonie toute jalouse, de quelques Woddy Allen ou Pierre Desproges. Mais nonobstant ces rares, salvateurs, et cristallins éclats de joie brute à l’état pur ; il n’est pas mentir d’affirmer que cette même espèce engendre en majorité des Mussolini, des Hitler, des Rudolf Hess, et des Pétain. Bref de bien piètres révolutionnaires ou humoristes. De facto, et au fil de nos premières années d’existence, nous l’intégrons dans une terreur sourde et muette : la civilisation humaine s’érige depuis des siècles et des siècles sur la folie meurtrière et par-dessus les charniers remplis d’innocentes victimes. Quant à son temps de loisir, elle le passe entre deux génocides à hoqueter le calembour rance et glauquissime concernant les minorités. Histoire de ne pas perdre la main en période creuse, sans doute. Bref quels que soient nos moyens d’accès à l’éducation, nous le comprenons donc instinctivement assez vite : l’histoire de l’Humanité peut succinctement se résumer à un véritable bain de sang giclant de toutes parts pour asperger les pâquerettes et les bonnes volontés.
Suite à cette prise de conscience, et au sortir de l’enfance – pour ceux d’entre nous ayant eu la chance d’en avoir une – nous nous apercevons alors que les bonnes raisons d’espérer en l’avènement d’un monde meilleur sont bien minces. Pour ne pas dire inexistantes. La haine régnant en tout lieu, nous saisissons que nous prétendre ouvertement sensible aux yeux des autres participerait plus de notre part du suicide programmé que de l’instinct de survie. La colombe de la paix n’ayant de mémoire d’homme jamais fait reculer aucun char d’assaut. Quant à vivre notre vie dans la confiance béate portée à la gentillesse du prochain, l’idée a quand même de quoi provoquer le fou rire nerveux. Elle ne nous effleure même pas. Dans l’image de nous-même renvoyée à nos contemporains, agir de la sorte nous ferait alors à leurs yeux déborder du cadre de la naïveté de la jeunesse. Pour tomber directement dans celui d’une probable addiction aux drogues dures. Alors, par nécessité d’aller de l’avant sans nous en prendre plein la gueule ; paradoxalement nous acceptons le traumatisme subi. L’infinie violence du monde devient pour nous la vérité constitutive et inaltérable de ce même monde. Nous acceptons la loi du plus fort comme étant naturelle car nous désirons plus que toute autre chose trouver notre place au sein du collectif humain. Par cette validation tacite du « manger ou être mangé » nous bâtissons donc, malgré nous, les fondations de notre personnalité sur une base eugéniste. Non par volonté consciente, mais par angoisse du rejet et de la solitude. Nous savons pourtant ce qu’il faut penser des conseils prodigués par la peur. Seulement nous sommes soumis à elle par la force de notre traumatisme fondateur face à la cruauté du monde. Alors pour nous protéger au maximum des hordes de prédateurs supposément tapis dans l’ombre, nous bâillonnons nos velléités aventureuses et barricadons du même coup nos désirs brûlants d’amour et d’harmonie pour le prochain. Malheureusement ; en refusant notre souffrance pour verrouiller ainsi la porte de nos cœurs, nous faisons le jeu de notre traumatisme en le niant, et bouclons la boucle psychologique en devenant alors prédateur à notre tour. Nous figeons notre existence présente dans le passé névrotique de l’Homme, et étriquons irrémédiablement les possibles de notre évolution mentale future. Après nous avoir enfoncé une hallebarde dans le cœur, ce choc psychologique originel a donc pour principal effet de ronger notre lucidité en nous faisant prendre le fait d’aller vers la vie en confiance pour de la pure inconscience. Clairement : nous nous fermons comme des huîtres à l’inconnu, et par-là même à l’expérience joyeuse de notre réel destin.
Bien sûr nous tentons de résister sur la durée à ce virus aveuglant notre sensibilité. Nous gardons en nous notre part d’enfance. Sous l’armure arborée, nous sauvegardons une partie de nos rêves et de nos croyances en la gratuité de la vie et des relations humaines. Mais ne dévoilons plus la vérité de notre cœur et de nos aspirations qu’aux plus méritants. Avec les autres, nous jouons aux profilers amateurs, aux étudiants en morphopsychologie, voire carrément aux apprentis mentalistes, histoire d’être bien certain de leur sincérité à notre égard. Nous ne nous livrons plus à eux que dans la restriction frigide, à la lenteur de sinistres bergers de haute montagne, allant jusqu’à nous imaginer leur offrir le champagne et le caviar de notre être là où nous ne faisons qu’essayer de les faire marcher au bâton. Infiniment convaincu de notre supériorité lucide face à la réalité de la vie, nous les prenons pour des ânes ou des moutons. Car dans les faits, lorsque les conclusions qu’ils ont tirées de l’expérience du vécu ne sont pas compatibles aux nôtres, sur la durée nous jugeons la plupart des gens comme indignes de notre confiance, de notre humanité et de notre amour. En vérité nous ne cherchons pas à connaître la personne assise en face de nous. Nous quêtons uniquement un miroir où pourra se refléter notre ego déficitaire. Notre manque de personnalité sensible ayant été accepté par nous comme étant notre personnalité réelle, nous obligeons l’autre à devenir mieux que lui-même : il se doit carrément d’être nous. Un nous combatif ; lucide ; idéal et parfait. L’axiome manquant à notre théorème intime. Bref et par un étrange renversement des pôles ; plus nous devenons psychorigide et autocentré : plus nous nous imaginons devenir ouvert et tolérant. Une fois notre méfiance face au monde effective et avérée, accessoirement nous prenons donc le risque de passer à côté de la rencontre d’avec un amour ou une amitié départie du calcul. C’est-à-dire la rencontre d’avec l’amour ou l’amitié réel.
Les fondations de notre clairvoyance face à la vie en elle-même reposant sur la terre boueuse d’une vision traumatique imposée de l’existence, nous construisons de facto dans l’âge adulte des châteaux de cartes sentimentaux ne demandant qu’à s’effondrer au moindre souffle de vent. Malgré nos dires ; nous nous sentons pour la plupart étouffés sous la pesanteur de notre quotidien et de nos relations amoureuses. Rien de plus normal. Puisque n’étant que l’alliance de deux traumatismes non-affrontés ; nos histoires d’amour sont dès le départ vouées à la frustration ; puis à l’échec sur la durée. Elles perdurent, au mieux, grâce à la mise en place d’un système de pensée basé sur la certitude partagée de la résistance aux prédateurs. Avoir un ennemi commun ; les autres ; nous permet alors non seulement de souder notre individualité à celle de l’autre, mais aussi d’éluder les réels problèmes. Car même savamment dissimulés sous l’apparence de la maturité ; le vide et le manque sont bien là. Constants, pernicieux, lancinants. Terrassés par une peur infinie de nous-mêmes, ne prétendons-nous pas, en foule et par pudeur, que nos rêves d’amour et d’harmonie de départ étaient irréalistes ? Pourtant la pudeur ; comme la peur ; sont mauvaises conseillères. Elles dissimulent bien souvent la réalité du traumatisme infligée par la violence du monde à notre croyance en une vie idéale et parfaite, c’est-à-dire une vie libre et sans contrainte idéologique imposée. Notre seul véritable pêché est donc une certaine forme de lâcheté. Car éloigné de la sorte de notre vie sentimentale et privée telle qu’elle devrait être ; nous devenons manipulable par des êtres peu scrupuleux. Généralement au sommet de l’état ou de la pyramide d’une quelconque entreprise. Puisque dans le déni de la douleur et de la frustration, notre personnalité à la fois soumise et infiniment narcissique est à notre insu devenue maîtrisable ainsi que prévisible. Transposer en séries de chiffres nos goûts et nos couleurs en matière de décoration intérieure ou de sentiments deviennent alors un jeu d’enfant pour le moindre aficionado de Machiavel. Banco pour les politiques, les publicitaires, et les salauds : le travail rend libre les gogos, la tête à toto remplit sa feuillasse d’impôts et vive Meetic Affinity, la promo du mois et l’amour safe porno pour les blaireaux. Cette dernière phrase n’exprimant que bien peu l’ignoble mépris que vouent en réalité nos Oligarques à notre intelligence.
Pour cela, et pour ne pas avoir à affronter nos incohérences intimes ; donc notre oppression ; nous passons notre vie à chercher des moyens de rêver encore au-delà de nous-même. Au-delà de nous-même et, bien sûr, d’un autre prétendument aimé comme nous-même. C’est-à-dire bien mal. Nous avons besoin d’air, ou tout du moins d’une zone de liberté temporaire. Alors nous quêtons la moindre porte de sortie par le biais de l’art. En nous rendant à la Fnac, au Gaumont multiplexe ou à la bibliothèque municipale. Les plus atteints commandent La possibilité d’une île ou La carte et le territoire sur e-bay. Car chacun de nous, même confusément, connaît le goût et la saveur du paradis perdu, et tient par-dessus tout à le retrouver. Qui que nous soyons, et quelles que soient nos préférences, nous nous accrochons aux lambeaux du souvenir de notre rencontre avec la beauté libre et sauvage de l’existence comme des damnés. Comme le dernier pilier encore debout au milieu des ruines de ce qui fut le bastion de nos rêves ; et tel Ulysse ligoté à son mât pour échapper au chant des sirènes ; la nostalgie devient alors notre ultime tentative de contrecarrer l’influence constante sur nos vies de notre trauma originel. Nous nous agrippons à la nostalgie, car sans elle la séparation d’avec notre présent nous deviendrait tout bonnement intolérable. À ce stade, que nous retournions nos yeux vers nous-même, et la souffrance ressentie serait telle que nous plongerions alors dans le désespoir. Comment pourrait-il en être autrement ? De la naissance jusqu’à l’âge adulte, la première science que l’on nous inculque est celle de la haine. Et le premier langage que nous apprenons est donc logiquement celui de la folie.
De la littérature comme d’une tentative de guérison générale, et d’un ange en particulier
Pour la grande majorité d’entre nous, la littérature est perçue comme un échappatoire permettant d’oublier la pesanteur du quotidien par le biais d’un personnage ne se laissant jamais marcher sur les pieds. Ni ne prenant jamais un coup de jus en changeant une ampoule. Une manière d’oublier les problèmes le temps d’une heure ou deux de bronzette sur la plage ou dans le fond du jardin. Avant de se replonger copieusement apaisé dans la fange de la vie réelle. Ou le montant des factures équivaut peu ou prou à celui des agios. Pourtant les effets médicinaux de la littérature sur notre être ne sauraient se résumer à nous permettre de rêver, assoupi dans un hamac, à un monde parfait où nous serions James Bond ; où Nicolas Sarkozy aurait été recalé à un tremplin pour jeunes humoristes ; et où les liasses de 500 dollars tomberaient du ciel. Non. La véritable nature de la littérature est bel et bien l’inverse d’un agréable passe-temps de loisir. Son essence est autrement plus concrète, et sa fonction hautement plus noble. Au-delà du style et de la forme, voire même parfois au-delà du fond, le but ultime de la littérature est de faire nos espoirs incarner leur véritable structure: la réalité. Seulement, et au contraire, par exemple, des mathématiques, il n’est rien de dire que nous n’avons pas tous conscience au même degré de l’influence de la littérature sur nos existences. Ni de son infinie pénétration des différentes couches stratifiées de nos sociétés. Pourtant la littérature berce nos vies depuis le premier jour, et diffuse une logique toute aussi pure que le langage mathématique. Nous pourrions même avancer que là où le langage mathématique formel – c’est-à-dire départi de mots pour aider à sa compréhension – n’existe que de manière théorique, la littérature pallie, elle, à ses propres carcans et lourdeurs constitutionnelles en réussissant à se condenser grâce à la poésie. Sans nous aventurer plus en avant sur ce sujet à part entière, nous pouvons au moins affirmer qu’à l’instar des mathématiques ; et à l’insu de beaucoup ; l’équation déjà résolue dans l’absolu et sporadiquement appliquée du théorème harmonique proposé par la littérature change la face de notre civilisation. Pour tirer progressivement le chariot de l’humanité vers la lumière d’un présent collectif enfin renouvelé.
Afin d’appuyer nos dires, prenons un exemple concret parmi les plus parlants ; et récents ; de l’influence du puissant levier de la littérature Mondiale sur la forme de nos sociétés européennes : Mai 68. Ce fameux Mai 68. Dont les médias, les philosophes post-modernes et les politiques se gargarisent périodiquement dans la confusion idéologique la plus totale. Révolte rouge petite bourgeoise responsable du libéralisme sauvage actuel pour les uns (bizarrement de droite), révolution populaire avortée et matée par les représentants du grand capital pour les autres (bizarrement de gauche). Comme toujours la vérité se situe au-delà des modes de pensées volontairement arbitraires et des clivages politiques habituels. En réalité nous devons l’étincelle de Mai 68 à la volonté d’UN homme. Et à la puissance de l’uppercut stylistique novateur d’UN livre. Mao et son petit livre rouge ? NON. Karl Marx et son Capital ? Derechef, NON. Jean-Paul Sartre et son existentialisme ? NON ; voyons… NON encore. NON toujours. Et justement, il nous faut nous déplacer, NON en chine ou en Russie communiste, NON à Paris et au Café de Flore, mais aux États-Unis dans les années cinquante pour découvrir un homme qui a dit : OUI. Expliquons-nous :
Si dès les années cinquante, UN homme, UN seul, n’avait pas réussi, en s’attelant à une épopée littéraire folle furieuse (donc en apparence insensée) à exprimer la vérité de son époque et à condenser les attentes de la jeunesse de son pays, en créant un style inédit nommé « la prose spontanée » ou « littérature de l’instant », il n’aurait pas donné naissance à une génération entière. Par la suite étiquetée « Beat Génération » (la génération du rythme ou de la béatitude, les deux interprétations se valent) par les critiques. Si UN homme, UN seul, uniquement mu par son infinie croyance en la beauté de l’existence, n’avait pas réussi à faire vivre et exister pour et par elle-même sa génération en lui donnant un sens puis un nom dans lequel elle puisse se retrouver ; la beat génération n’aurait pu engendrer les Beatniks. D’où l’histoire nous prouve que découlèrent ensuite les hippies de San Francisco, le flower power, Woodstock, et l’île de Wight. C’est-à-dire : la création d’une nouvelle forme hédoniste de philosophie. En soulevant sa génération à bout de bras depuis les limbes hypocrites du passé pour lui annoncer rien de moins que la fin des temps oppressifs, cet homme a réussi le tour de force monumental, en seulement quelques décennies, à faire basculer un continent entier ; le sien ; les États-Unis. En prouvant grâce à la vitalité percutante de ses mots et de sa vision l’iniquité élitiste, autoritaire et mortifère de sa culture. Par la force immarcescible de son OUI à la vie, et la création d’un style infiniment personnel, il a réveillé et révélé à eux-mêmes des millions de jeunes américains, pour les faire descendre dans les rues. Non pour casser des vitrines, taper sur le voisin ou violer la voisine portoricaine, non. En les sortant de leur torpeur apathique pour les amener dans la lumière du présent et de l’instant, il a tout simplement rappelé à la jeunesse de son pays qu’elle avait le droit de vivre, d’inventer et de se marrer. Est-il utile de rappeler que la France des années soixante avait, depuis la libération, les yeux rivés sur les premiers jeans, les balbutiements du rock’n’roll ; et que tout ce qui arrivait des États-Unis semblait l’être comme en provenance directe d’Eldorado ? Dans l’effet miroir et extension de l’onde de choc, les répercussions de l’effondrement des barrières psychologiques de la jeunesse américaine sur la jeunesse européenne donna donc naissance en France ; petit à petit et en réponse à une culture et une littérature frileuse, rigide, sclérosée et poussiéreuse ; à un profond besoin de renouvellement. Qui connaîtra son apogée lors de la révolte étudiante, puis populaire, de Mai 68. Depuis un autre continent (et quasiment depuis la tombe, puisqu’il mourut en 1969) cet homme, se définissant lui-même comme un « Proust (allant à) cent à l’heure » ou « au pas de course », est ainsi parvenu à redonner de la vigueur, de la fougue, et un sens à une France vivotant sur ses acquis, en cruelle perte de vitesse depuis le siècle des lumières. Sa croyance littéraire visionnaire, et la pérennité de son amour pour l’Homme et la liberté lui ont à elles seules permis de modifier la conscience des peuples européens de manière rédhibitoire. En ayant aussi subtilement, avec patience et doigté, déminé la bombe mentale située à la frontière entre littérature et politique ; cet homme a tout bonnement cartographié le territoire d’un nouveau monde social réalisable ; et dessiné le visage de la littérature occidentale actuelle. Cet homme se nommait Jack Kerouac. Il est l’un des derniers RÉELS anges écrivains recensés. Son livre best-seller s’appelle Sur la route. Et chaque écrivain français, qu’il s’en réclame ou non, a depuis la dérive des continents consécutive au séisme du BIG K été percuté par la vision de Kerouac. Du Djian des années 80 au Guillaume Dustan des années 90 ; de Florian Zeller à Nicolas Rey et de Christine Angot à Michel Houellebecq, tous lui sont redevables. Et aucun écrivain français recensé n’a jusqu’à présent été capable d’égaler son génie, de juter et jouir aussi loin. Ma foi ; une fois n’est pas coutume ; visons la petitesse des arguments proposés à la lumière de ceux qui en ont vraiment. Car sur la route de Kerouac : la littérature française s’y trouve encore. Alors que de son vivant même l’auteur l’avait quittée pour s’envoler vers des cimes plus pures car inatteignables par la bêtise, la littérature française souffle et halète encore péniblement derrière la vision à la fois apocalyptique et salvatrice du Kerouac des années cinquante… Ma foi Paris attend toujours son Satori. Ne jurant que par Louis de Funès, la littérature française se tient les reins à deux mains pour réclamer du viagra et un verre d’eau, histoire de réussir à sauter Marianne pour de bon. Ébaudissons-nous : c’est impressionnant de jeunesse, de résistance et de virilité. Heureusement ; et car travaillant en étroite alliance avec eux ; le temps et la durée sont les alliés les plus sûrs des grands auteurs. Malgré la récupération confuse et politique de la vision poétique quasi mystique de Kerouac, les bases jetées l’ont bel et bien été. Et notre système politique est bel et bien en train de s’effondrer sur lui-même. Pris au piège de son mensonge éventé et mis à jour par Kerouac, ce système révèle progressivement à tous, sous les paillettes, la réelle teneur fécale de sa matière. La crise économique mondiale dissimulant à l’évidence une crise de civilisation autrement plus profonde. Que bien peu de penseurs ; une fois quitté le plateau du journal de 20H de TF1 ; ont encore le courage ; en privé ; de faire semblant de nier. Ce qui, honnêtement, a de quoi nous faire triquer de manière inédite. Certes le message de Kerouac était bien trop novateur pour la vieille Europe, qui n’a pas su le digérer correctement à l’époque. Mais, péniblement, lentement, béquée par béquée, le vieux continent commence à se départir de son orgueil de mégère réactionnaire. Pour se souvenir que quand il veut, il peut ; lui aussi ; avoir du courage et du talent.
Alors ? Pas concrète, la littérature ? Lorsqu’un seul homme, uniquement armé de son talent et d’une machine à écrire, peut en influencer des millions d’autres, et des milliers de créateurs sur plusieurs décennies ? Allons, allons… un peu de sérieux. Car des exemples de l’influence de la littérature sur le monde et les sociétés qui le composent, la littérature Mondiale en regorge. Si plus de quarante ans après son décès Jack Kerouac n’a toujours pas été reconnu à la mesure de son génie visionnaire, Soljénitsyne, par exemple, eut lui la chance d’obtenir le Nobel de littérature en 1970, de son vivant. Et il est désormais reconnu que sa dénonciation des exactions commises en URSS est pour beaucoup dans l’effondrement du mur de Berlin. Au vu de l’effet provoqué sur la conscience des peuples, nous pouvons donc en conclure que les livres les plus scintillants, les plus brillants, ne sont donc finalement que l’expression des desideratas de l’humanité de sortir de l’obscurantisme meurtrier dans lequel elle est périodiquement plongée. Les chefs-d’œuvre de la littérature mondiale symbolisent donc la matérialisation de notre évolution spirituelle collective. Ils sont les oripeaux d’une liberté, d’une vérité, et d’un amour plus vaste, intimement et infiniment ressentis ; puis exprimés pour tous ; par leurs auteurs. Gageons dés lors que les ouvrages que nous nommons « chefs-d’œuvre » ne sont que le miroir où se reflète un territoire possible. Un eldorado encore inconcevable pour la plupart d’entre nous. Nous préférons en effet nous attarder ad vitam aeternam sur nos failles traumatiques plutôt que de nous atteler sérieusement à la compréhension réelle de la beauté de l’existence. À l’étude d’un fond, et d’une vérité communes, dont la réalité nous amènerait alors à nous sentir bien plus en forme. Mais au lieu de cela, et bien tristement, nous passons notre temps à ouvrir grand des yeux de vaches admiratives, pour admirer des pépites abandonnées. Nous les imaginons être tombées du ciel, par magie. Ou avoir été déposées là à notre intention, sciemment, par des extraterrestres. Pour la plupart, toujours, nous ne prenons pas conscience de la masse considérable de travail abattu et fourni par les grands auteurs. Nous préférons étrangement courir dans toutes les directions, comme des atomes devenus fous, à la poursuite de la dernière mode ou de la dernière tendance. Comme toujours nous ne lisons et n’écoutons pas : nous quêtons le remède miracle en poudre ou le grand amour en cachets. Ma foi, rien ne nous empêche d’examiner la structure formelle du Lolita de Nabokov encore et encore, et en long, et en large. Et de disséquer le style du Walden de Thoreau à la pince à épiler. Si nous en sommes toujours à regarder le doigt…
Car que nous enseignent véritablement les grands auteurs par l’intermédiaire de leur génie ? Rien de moins qu’il existe des moments Divins, des territoires vierges et des instants parfaits, comme les accords. Preuve par neuf, ils nous prouvent que
certaines personnes valent à eux seuls l’univers connu et l’univers infini. Ils nous apprennent également qu’il est possible de venir à bout de la souffrance et de la folie du monde. Grâce à leur don visionnaire, puis la maîtrise de leur vision, dans un premier temps ils nous démontrent que la littérature peut être une sorte d’épure de notre structure personnelle défaillante car traumatique. Un moyen de libérer notre espace psychique des avanies formellement subies. En éveillant notre curiosité, les grands auteurs nous testent. Ils soumettent notre personnalité formatée à l’étude d’une forme nouvelle : la leur. Puis dans un deuxième temps ; si tant est que nous passions l’étape et parvenions à nous départir de notre orgueil et de notre ego ; ils nous initient grâce au style à ce qu’est en réalité le langage : un véhicule de savoir et de connaissance nous permettant de progresser vers plus de conscience de nous-mêmes, et de notre condition d’être humain. En nous laissant imaginer que nous sommes sur leurs épaules, ils nous rassurent et nous laissent ainsi, à notre rythme, devenir à notre tour maîtres du feu et des éléments. En épurant pour nous de toutes névroses le langage ; et en nous amenant à l’utiliser à notre façon ; ils nous aident à prendre conscience de la lumière existentielle. Les grands auteurs, en père-manence, nous tiennent la main. C’est uniquement une fois convaincus de notre solide assise vertébrale ; après nous avoir vus faire nos premiers pas sur les rivages d’Eldorado ; qu’ils accèdent à la paix de l’âme et pénètrent enfin le silence.
Être au monde, ou avoir l’écriture en soi (Conclusion)
La littérature en tant qu’art brut dispense à l’écrivain un puissant message d’espoir libérateur pour l’humanité entière. Si l’écrivain perçoit ce message sous forme de vision globale clairement structurée, c’est un génie. Sauf rares exceptions, il meurt généralement assez jeune une seringue dans le bras ou une bouteille de rhum à la main, abandonné de tous au sein d’un monde inique. Bien souvent sans avoir eu le temps de transmettre sa vision autrement que par fulgurances désordonnées, nonobstant suffisantes à inspirer une kyrielle d’autres artistes. Si l’écrivain perçoit le message sous forme diffuse, il a du talent. Il fait alors partie de la kyrielle suscitée ; et l’on parle alors, comme nous disions plus haut, d’inspiration venue d’ailleurs (mais où va-t-il chercher tout ça ?). Apprécié par la plupart de ses proches pour le vent d’air frais qu’il charrie ; les chances de survies de celui-là augmentent sensiblement. Comme comprenant sans effort, de manière instinctive, les douleurs intimes du prochain ; il se trouvera toujours une bonne âme au degré d’empathie correcte pour le plaindre. Et donc pour le dépanner sans faire trop d’histoires d’un billet de 50. Qu’il ne remboursera jamais ; bien sûr ; mais c’est tacite entre les deux parties. En comparant les différences de réactions humaines ; d’une part face au génie (je te laisse crever comme un clébard) ; et d’autre part face au talent (je te plains, mais je te paye à bouffer) ; s’impose à nous la conclusion ci-après : la compréhension de l’écrivain par son lecteur ne dépend donc pas de l’acte d’écrire en lui-même ; mais de sa capacité à gérer l’effet miroir. Pour comprendre le message diffusé par le génie, il nous faut donc déjà assimiler sa fragmentation dans le talent. Afin d’espérer saisir le pari aussi fou qu’immensément courageux de la littérature : suspendre l’humanité avec elle dans la grâce, par l’intermédiaire de la vision des grands écrivains et de leurs chefs-d’œuvre intemporels. La littérature ; en culminant dans le génie pour abolir l’espace-temps ; remplit alors sa fonction, nous prouve sa noblesse, et nous laisse percevoir son essence : au plus prés possible de la vie qu’elle puisse l’être, elle laisse à la conscience humaine le choix de l’interprétation et de la liberté.
La réconciliation de pulsions apparemment contradictoires permettant de pénétrer le mouvement vital, voilà ce qu’est l’écriture. Grâce à la littérature ; l’écrivain peut espérer aborder, non pas une vérité ultime bien illusoire, mais à tout le moins, et avec certitude : une partie de la vérité. Cette connaissance à la fois de la beauté et de l’horreur de l’âme humaine, arrachée de haute lutte aux cieux, permet ensuite à l’écrivain d’offrir à son lecteur un moyen d’accès réel au monde qui l’entoure. Car n’en déplaise aux fonctionnaires du cœur ; le véritable rôle de l’écrivain est de sauver des vies en faisant apparaître comme par magie une ouverture dans le mur de la prison où la minorité de l’humanité la plus riche ne se lasse pas d’asservir chaque jour la majorité la plus pauvre. Mais afin de ne pas décourager les vocations sacerdotales, et avant de conclure ; il nous faut avouer une dernière chose : malgré les difficultés de compréhension à affronter au quotidien, les batailles à livrer sans trêve ni répit ; les territoires gagnés ; et pourtant sans cesse à reconquérir : le métier d’écrivain est un job parmi les plus gratifiants. Ne serais-ce que pour une simple raison : se battre au quotidien pour la liberté de tous met à l’abri du risque de passer pour un pov’con aux yeux de l’histoire.
Nous avons démontré ici que l’Art littéraire peut-être considéré comme un simple synonyme de la réappropriation de sa conscience, puis de l’apprentissage patient du langage réel ; à savoir départi de notre traumatisme originel face au monde, et de la folie qui en découle. Il serait cependant inexact de prétendre que la littérature se contente de lutter contre l’oubli. Gageons qu’elle fait carrément reculer la maladie d’alzheimer. Il ne nous reste donc plus qu’à remercier nos lecteurs pour leur patience, saluer bien bas nos confrères et, au-delà du titre du présent texte, justifier celui de cet ouvrage collectif : comme toutes formes de connaissance, l’écriture, en soi, est une science.
La science de la liberté et de l’amour. Bien à vous, artisans.
Wilfried Salomé. Marseille. Le Panier. Septembre 2K11.